samedi 2 juillet 2011

Qu'est ce qu'un archétype?




Extraits du livre "Les rêves et leur interprétation" d'Ernest Aeppli

Un livre oh combien précieux pour moi depuis plus de 30 ans!

"Nous sommes entourés par un milieu; nous avons même l'impression de nous trouver en son centre. Nous contactons journellement les objets de ce milieu et nous les utilisons selon leurs possibilités. Pourtant nous ne lui sommes pas identiques; nous faisons bien plutôt face à ce monde extérieur, même si celui-ci se prolonge dans notre conscient et notre inconscient. Ainsi les faits et les images de ce monde sont à la disposition de chaque individu dont ils forment l'expérience; ils sont une des grandes sources dont se sert le rêve. L'autre source est constituée par le monde intime de notre âme, l'inconscient collectif, dans lequel notre moi plonge ses racines. Il appartient également à tous et se prolonge dans chacune des âmes individuelles. Pourtant, là non plus, nous ne faisons pas un avec ce monde; lui aussi nous fait face, même si sa richesse émerge jusque dans notre inconscient personnel, notre imagination et nos rêves et influence ainsi le moi à son insu. C'est ce monde intime et collectif à la fois qui constitue l'autre réservoir dans lequel le rêve puise son matériel merveilleux; celui-ci prendra corps dans une image archaïque nommée archétype."

"Dans ces images archaïques, comme Jung les appelle d'après une expression de Jakob Burckhardt, toutes les expériences faites par le psychisme humain depuis l'origine, sont représentées au moyen d'images: la croissance et le déclin, le bonheur, les dangers, les rencontres avec les forces de la nature, les animaux et les êtres humains. Les archétypes contiennent également les images traditionnelles et les images perdues symbolisant les rapports humains avec les puissances "d'en haut" et les puissances "d'en bas"; il s'agit là des grands symboles religieux. De tout temps, les hommes ont fait l'expérience de la lumière du jour et de l'obscurité de la nuit, et ce rythme incessant a profondément marqué l'âme. Les hommes ont fait connaissance avec les saisons riches et les saisons pauvres. Ils sont restés profondément unis au devenir de la végétation. Ils ont apprivoisé le feu, dompté les animaux pour les mettre à leur service; ils ont durant des millénaires craint l'hiver et les animaux restés sauvages. A l'intérieur de la communauté plus ou moins étendue de la famille, du clan ou de la tribu, l'homme était entouré par la vie et la mort de ses parents, par la jeunesse et la vieillesse; il éprouvait sa détermination sexuelle et son rapport de dépendance dans le couple; la maternité et la paternité étaient des formes de vie importantes et acceptées comme telles par la majorité. Le miracle de l'enfant, l'épanouissement des jeunes gens et jeunes filles comblaient les adultes de bonheur.

La communauté, mais aussi la lutte des individus et celle des grandes associations spontanées, créaient sans cesse des situations dans lesquelles un certain comportement humain typique prenait forme. Au moyen de la roue et de l'animal, la culture naissante s'étendait dans les environs; la barque et les bateaux traversaient les eaux redoutables, la voûte des ponts s'élançait sur les fleuves, tout d'abord d'une façon primitive, puis avec un art de plus en plus achevé. Des formes de vie naissaient et se conservaient à travers le temps malgré des modifications superficielles.

On pourrait multiplier les exemples, mais pas indéfiniment; car il n'existe qu'un nombre limité d'événements humains fondamentaux, tout comme l'individu qui ne fait jamais que quelques expériences typiques. Celles-ci sont condensées en archétypes qui représentent comme un produit de la distillation de tout l'existant, de ce qui a pu se produire et se produira encore. Il semble que par une répétition incessante, ces images archaïques se soient chargées d'une énergie interne au moyen de laquelle elles sont véhiculées de génération en génération.

Le nombre des archétypes est donc limité. Mais ils n'en sont pas moins de véritables centres énergétiques. Dans une petite remarque, Jung indique qu'il y a analogie entre les formes typiques de l'inconscient et la répétition morphologique ou fonctionnelle de certaines ressemblances dans le domaine de la nature. Ce sont à première vue des "formes existantes ou des normes biologiques de l'activité psychique". Le moi n'en dispose pas; elles sont dès le début données à chacun comme un héritage ancestral.
Nous nous conformons à leurs règles sans le savoir; et dans ce cas nous sommes dans le vrai. Ce n'est pas seulement le fonctionnement corporel qui s'accomplit pour la plus grande partie en dehors de notre volonté et selon des lois biologiques transmises, mais également la vie mentale; celle-ci nous est tracée depuis des temps immémoriaux et nos ne pouvons l'abandonner sans par là même occasionner des troubles. Grosso modo, nous faisons ce que l'homme a toujours fait dans le bonheur et dans la peine, à l'ouvrage ou parmi les siens et surtout lorsqu'il se trouve placé devant une décision inhabituelle. Le fondement de la vie et le comportement caractéristique de l'homme sont identiques alors même qu'ils peuvent prendre la forme la mieux appropriée à chaque individu. Ceci, soit dit en passant, nous permet de comprendre les messages laissés par les hommes d'autres époques, c'est-à-dire leur histoire, et en particulier les grandes épopées qui reflètent une activité humaine universelle.

Une comparaison encore plus adéquate, bien que ressortissant à un domaine inconnu de certains lecteurs, est celle de forces qui, obéissant à des lois précises, obligent certains liquides à prendre la forme déterminée de cristaux qui sont typiques; par exemple, l'eau qui se transforme en cristaux de neige. Il en va de même de la vie psychique qui obéit aux lois invisibles de certaines forces directrices. La psychologie essaie de les comprendre explicitement; images miraculeuses et vivantes de l'inconscient, elles nous sont présentes dans le rêve et dans la vision.

Fait significatif et particulier, ces grandes représentations apparaissent dans le rêve lorsque le rêveur se trouve devant une situation qui ne met plus seulement en jeu des intérêts privés et qui lui sont personnels.

Le rêve répond aussi aux petits événemens quotidiens, comme on a pu s'en rendre compte. Il le fait au moyen d'un rêve appelé rêve quotidien. Il n'y a donc pas à rechercher des archétypes lorsqu'il s'agit de savoir s'il faut accepter une offre d'emploi; ils ne se prononceront pas pour ou contre un départ en vacances... Mais les images archaïques afflueront avec puissance lorsque seront en cause des problèmes humains fondamentaux, lorsque le développement de la personnalité même est mis en question. Ils font leur apparition lorsqu'un plan supérieur doit être atteint ou lorsqu'une difficulté vient d'être surmontée effectivement. Ces événements internes qui doivent avoir lieu chez la plupart des individus sont alors accompagnés par ces images éternellement jeunes. Ainsi "l'enfant" a toujours symbolisé survie et possibilités futures... A toutes les époques, les mères ont prodigué affection et soins, tout en continuant à rester attachées à ce qui naît d'elles; ainsi s'est immortalisée la figure universelle de la grande "mater". De tout temps, aussi, le "guerrier" a accepté ou a dû accepter la mort, de tout temps le "vagabond" a erré au hasard des paysages ou des groupements humains. On a toujours été "jeune", on a toujours été "vieux", la misère et la peur, mais également les fruits de la vie ont existé de tout temps. On a bâti la "maison", le "feu" l'a détruite. Fleuve et mer ont toujours été des symboles de l'existence.

Tous ces symboles sont originels. Quand nous arrivons à un endroit dangereux, soit en nous-mêmes, soit au-dehors, quand notre conduite est troublée par des conflits profonds, mais aussi lorsque s'épanouissent les quelques grandes joies de l'existence, les rêves reviennent aux images archaïques, aux pensées et actions types d'une humanité qui a toujours su trouver son chemin à travers le besoin et les désastres. Nous communiquons avec son savoir millénaire qui se formule par de grands symboles plutôt que par des énoncés clairs et conformes à la raison.

L'image onirique qui se rapporte à ces contenus internes ne nous devient souvent accessible qu'avec l'aide d'un interprète ayant l'habitude de reconnaître les symboles; avec ou sans cette aide, nous entrons en contact avec l'énergie qui s'est amassée dans ces symboles. D'après un mot de Nietzsche, qui d'ailleurs ne faisait que pressentir l'existence et la profondeur de certains rapports, "par le rêve et le sommeil, nous refaisons la tâche de nos ancêtres"; nous nous alimentons aux sources de la vie, c'est-à-dire à cette expérience que des milliers de générations ont amassée et qui devient perceptible sous forme de symboles."

2 commentaires:

  1. Bonjour Michelle,

    Je suis intrigué par cet ouvrage, d'habitude je fuis les livres d'interprétation préétablie avec les symboles mais la teneur de l'extrait me donne envie de le chercher.
    merci

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  2. J'ai de la difficulté à concevoir que notre vie psychique soit limitée à un nombre fini d'archétypes et ne puisse en déborder. Ça me semble contradictoire avec le sentiment, à certains moments, que tout est possible.
    Mais c'est enivrant de savoir que ce que nous pensons ou plutôt les fondement de nos pensées et de nos rêves sont partagés avec les milliards d'être humains qui ont vécu sur terre depuis les débuts !
    Il faudrait davantage chercher en nous-mêmes des solutions au lieu de les chercher dans un ailleurs !
    Bref, je n'ai vraiment pas fini d'essayer de comprendre cet inconscient collectif et ses archétypes !
    Merci Michelle ! :-)
    P.S. Imaginons combien moins il y aurait de suicides si les personnes voulant y recourir plongeaient en elles-mêmes pour obtenir du support...

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