dimanche 23 mai 2010

L'être individué


Extraits d'une lettre de Carl Jung au Pr. Henry A. Murray

"Vos questions sur l'individuation et l'individu sont hautement philosophiques et retiennent l'attention. C'est tout à fait juste: je n'ai jamais décrit un "être individué", pour cette simple raison que personne ne comprendrait pourquoi je le décris, et que la plupart des lecteurs s'ennuieraient à mourir. Je ne suis pas non plus assez bon écrivain pour pouvoir en dessiner une image réellement satisfaisante. Un génie comme Goethe ou Shakespeare serait peut-être en mesure de décrire l'éclat, la beauté et la complétude divine d'un vieux chêne individué ou la bizarrerie d'un cactus à nul autre semblable. Mais si un homme de science s'y aventurait, personne ne le comprendrait ni ne lui en saurait gré. La science s'occupe seulement de représenter un chêne ou un cheval ou un homme dans ce qu'ils ont de conforme à la moyenne, et non pas dans leur unicité."
"L'être individué est un être tout ordinaire, et pour cette raison presque invisible. Tous les critères de l'individuation sont nécessairement subjectifs et étrangers aux finalités de la science. Vous demandez quels sont les sentiments de l’être individué, son système de valeurs, ses pensées, ses activités et ses rapports au monde environnant. Eh bien, ses sentiments, ses pensées, etc., sont les sentiments, les pensées, etc., de tout le monde: tout à fait ordinaires et sans intérêt, sauf si le hasard fait qu'on s'intéresse particulièrement à lui et à son confort. S'il peut s'accomplir tel qu'il était dès le départ, il est comme il doit être. Il ne doit pas alors exagérer ou simuler, être névrosé ou de quelque autre façon désagréable. Il vit "dans une modeste harmonie avec la nature". Comme dit le bouddhisme zen: au début, les montagnes étaient des montagnes et la mer était la mer. Puis les montagnes ont cessé d'être des montagnes et la mer d'être la mer, et à la fin les montagnes seront de nouveau des montagnes et la mer sera de nouveau la mer. Nul ne peut avoir une vision sans être transformé par elle. D'abord il n'a pas de vision, et il est l'être A; ensuite il est lui-même plus une vision = l'être B; il peut arriver alors - s'il n'est pas complètement obtus - que la vision influence sa vie, et cela donne l'être C. Ce qui compte, ce n'est pas que les gens pensent ou ne pensent pas qu'ils sont individués; ils sont exactement ce qu'ils sont: dans l'un des cas, un être humain plus une caractéristique désagréable dont il est inconscient et qui le tourmente, ou sans cette caractéristique - quoi qu'il en soit, inconscient de lui-même; dans l'autre cas, conscient. Le critère, c'est si l'on est conscient ou pas.

L'être qui a une névrose et qui sait qu'il est névrosé est plus individué que celui qui n'a pas cette conscience. L'être qui est un satané fléau pour son entourage et le sait est plus individué que celui qui reste dans l'inconscience béate de sa nature, etc. Le point de vue scientifique est pertinent pour beaucoup de choses, mais concernant la tournure décisive que prend l'individuation, sa contribution est absolument nulle; il a tout au plus une certaine importance secondaire. Si l’être humain est en désaccord avec lui-même et ne le sait pas, il a des illusions; mais s'il sait qu'il est en désaccord avec lui-même, alors il est individué. Selon Schopenhauer, l'humour est la seule qualité divine en l'homme. Si le pape a de l'humour, ou si Albert Schweitzer sait qu'il a pris la fuite devant le problème européen ou Winston Churchill quel insupportable "bully" il peut être, alors ils sont, en ce sens, individués. Mais pour sûr nul ne s'intéresse à ces finesses très hautement subjectives, sauf s'il est psychologue ou quelqu'un qui en a assez d'être inconscient."
C.G. Jung - Correspondance 1955-1957

dimanche 16 mai 2010

Premier anniversaire


Aujourd'hui, en ce 16 mai 2010, j'ai le plaisir de souligner le premier anniversaire de mon blog. Au tout début de sa création, j'ai vu en rêve un petit éléphant blanc qui trottinait devant moi. Je lui demandais où il s'en allait comme ça! Au fil du temps, je l'ai nourri, il est devenu un peu plus consistant et il a pris peu à peu les couleurs de mon âme et de ma vie.
Je profite de cette occasion pour vous dire un grand MERCI, à tous ceux et celles qui m'ont laissé un commentaire en passant, qui m'ont encouragée et/ou critiquée, et un MERCI tout spécial aux 17 membres qui se sont inscrits sur mon blog.

Ce que j'ai voulu communiquer dans ce blog, en résumé, c'est que chacun de nous a la responsabilité de développer sa valeur propre, son individualité. Carl Jung dit que "L'individu est le vase de la vie, tout individu est porteur de la vie, et la vie n'est portée que par les individus." * "Il faut que l'individu soit complet et consistant, faute de quoi rien ne peut exister, car une somme de zéros, si grande soit-elle, ne fait rien de plus que zéro." **
La seule façon d'arriver à former une société équilibrée, vivante et évolutive, c'est que chacun de nous donne libre cours à sa propre originalité. Et pour ce faire, il est inutile d'aller chercher au diable vauvert les réponses à nos interrogations. Il faut ouvrir son âme, son coeur et son esprit le plus grand possible, pour se développer intérieurement et bien se connecter à sa propre réalité, à sa propre richesse... à sa propre vie!
Amicalement,
Michelle
16 mai 2010

P.S. Le 16 mai est aussi la date anniversaire de la naissance de mon grand-père Henri Lapointe, qui m'a transmis en héritage (avec ma mère) l'amour de l'écriture et de la lecture. Ma cousine Linda a créé un site en son honneur où vous pourrez lire une partie de ses mémoires: http://plabbe.com/hl/
* Tiré du livre "C.G. Jung parle - Rencontres et interviews", chapitre 54: Interview pour la Suisse à l'occasion du quatre-vingt-cinquième anniversaire (éditions Buchet-Chastel).
** Extrait du livre "C.G. Jung - Correspondance 1955-1957" tiré d'une lettre au Dr Hans A. Illing.

dimanche 2 mai 2010

Le petit bonhomme et l'Arbre


Il était une fois un très grand Arbre, un Arbre immense au Centre du Monde. Il était bien au Centre du Monde, oui, au carrefour des mille routes. Cet Arbre immense, on peut lui mettre un A majuscule, premièrement à cause de son âge vénérable, mais surtout parce que, à lui seul, il représentait tous les arbres, il était leur prototype. C'était un Arbre très vivant de bas en haut. Il avait été planté au début du Temps par Dieu pour donner à tous les hommes l'espoir de rejoindre le ciel un jour. Au bas de son tronc vivaient des centaines de petits animaux qui se réfugiaient dans ses racines-refuges. Tout au long de son Etre, des oiseaux venaient se percher sur ses branches hospitalières. Et là-haut, tout là-haut, l'Arbre si grand continuait à grandir, bien sûr. Jamais on n'en avait vu d'aussi grand, sauf au pays des légendes. Là-haut, ses plus hautes branches et sa cime saluaient en vibrant Dieu et les Anges en train de s'activer. Ils étaient là, bien qu'invisibles de la terre puisqu'ils étaient si haut. Ils étaient près de la cime, toujours, espérant qu'un de ces jours, un moyen soit trouvé de se servir de l'Arbre pour communiquer. Car n'est-ce pas sa mission, à cet Arbre, d'être un instrument divin permettant la communication entre Dieu et les hommes! Sans Lui, il n'y aurait plus de repère, l'axe du monde coupé, reviendrait le chaos.

Il était une fois, un petit, très petit bonhomme. Il n'avait pas de nom car il n'était qu'un signe hiéroglyphique sur un document très ancien qu'on nommait parchemin. Ce petit bonhomme, figé depuis des années dans une même posture, un jour, il lui a été donnée la chance de remuer à sa guise. Nommons-le Georges pour le nommer du nom d'un valeureux guerrier. Georges était si heureux d'être délivré, de pouvoir enfin bouger! Dieu avait enfin permis qu'il devienne vivant, pour accomplir un dessein quelque peu troublant. Car c'est à lui qu'est échue la mission de grimper à l'Arbre cosmique pour ainsi perpétuer l'Acte du commencement, où un héros divin parvenait à y grimper pour ne jamais en revenir. Lui, Georges, devait en redescendre pour annoncer la bonne nouvelle que Dieu ne manquerait pas de lui communiquer.

Brave petit Georges, qui avait été si figé, se mit en route sans plus tarder vers l'Arbre non loin de là. Il se mit ensuite à y grimper. C'était assez facile, il était si petit, mais il fallait s'agripper pour ne pas retomber. Il grimpa, grimpa, grimpa, devint invisible aux yeux de tous, en haut ou en bas. Mais il était bien là. Il se nourrissait en chemin de toutes sortes de fruits poussés là, il buvait de temps à autre de la sève prélevée à des petites branches. Cette sève était tantôt rouge, tantôt verte, tantôt bleue. Comme c'était curieux! Bien sûr l'Arbre était polyvalent, il résumait toutes les espèces végétales sur terre et même au-delà. Le petit Georges ne s'embêtait pas. Il grimpait, grimpait, et ça faisait déjà très longtemps, une éternité. Ce petit bonhomme anonyme ne se lassait pas, car il n'était pas humain, la fatigue ne le minait pas. Qui jadis l'avait créé dans le noble but de communiquer? Un message en images, c'est un message universel, et un bonhomme, ça se comprend bien. Mais il ne parlait pas, bien sûr. Un bonhomme ça parle en Soi, ça veut dire homme, simplement. Pour parler il lui faut tout son environnement hiéroglyphique, assurément. Alors, il s'inquiétait un peu. Comment le grand Dieu pourrait-il lui confier un secret puisqu'il ne parlait pas. Mais courageusement, il continua...

Un jour, au bout d'une ou deux éternités, notre petit bonhomme enfin atteignit la cime et bien que celle-ci continuât à pousser bien sûr, il parvint à se camper tout au bout! Sa vision, de là-haut, s'émerveillait d'englober l'Univers. Il était campé à cet endroit où on peut réaliser que ce qui est en-haut est comme ce qui est en bas. Comment savoir ce que le grand Dieu lui a dit, au petit Georges venu ainsi en mission vers Lui. C'est un secret bien gardé, qui ne sera jamais profané. Il vécut un bout de temps avec ces hautes entités des Cieux. Puis il redescendit par le même chemin, tout au long de l'écorce du grand Arbre. Il ne fut pas plus connu des humains, mais quelque chose avait changé dans les relations entre la terre et les divinités. Et Georges en avait le crédit tout entier!

Mes commentaires

Georges: Il représente le genre humain tout entier, sans distinction de race ni de langue surtout. Petit bonhomme très âgé, sans particularités, sinon d'être un être vivant, humain, terrien (t'es rien), et qui, bien qu'âgé, ne vieillit pas. Et ne mourra pas avant... une éternité. J'ai vu en image mentale quelques signes, quelques hiéroglyphes. Dans une seconde image, j'ai vu un petit bonhomme (aussi hiéroglyphe) se mettre à bouger. Représentation de l'homme tout entier, il se met à bouger, il se met à vivre! Qu'est-ce à dire?

Le prénom Georges, ça me fait toujours penser aux articles de Sélection du Reader's Digest: Le nez de Georges, l'intestin de Georges, etc. Et une phrase m'est venue à l'esprit: "La vie de Georges". Cet être qui sans être réellement se retrouverait vivant, comme le petit bonhomme! Le petit bonhomme est un prototype du commun des mortels. Alors que Dieu, tel que vu par l'homme, est un prototype de l'Homme déifié, une image idéale de ce que l'homme est appelé à être au bout de son périple de mortel, quand il sera enfin sorti de son enfance et que son esprit s'ouvrira enfin aux vibrations de l'univers. Entre les deux, il y a tout un monde, déchiré, attendant trop passivement l'éternité. Dieu et le diable son éternels. Le diable s'ingénie à garder l'homme dans l'enfance, en perpétuant en lui la peur, l'anxiété et la non-confiance en soi, ou il attise son orgueil et l'empêche d'en sortir.

L'arbre cosmique: prototype géant de tous les arbres, surtout les grands, les gros arbres. Dans certaines cosmogonies, il représente le lien entre l'homme et Dieu, entre le ciel et la terre. Il pousse, pousse ses branches de plus en plus loin dans le ciel et il pousse, pousse ses racines, de plus en plus loin dans la terre. Il est un exemple pour nous tous par sa ténacité, cette impulsion constante qui l'anime sans faiblir, sans compter, sans rien attendre en retour. L'homme gémit sur son sort sans cesse ou il se glorifie sans cesse, dans les deux cas, ça l'empêche de grandir et d'atteindre enfin son Dieu.

Le petit bonhomme de mon histoire, si anonyme, est forcément humble puisqu'il n'est pas un individu séparé mais une représentation de l'Homme en général. Il ne peut ainsi avoir l'orgueil d'être ce qu'il est. Ce petit bonhomme anonyme peut devenir vivant puisqu'il représente, en général, l'humanité... vraiment vivant je veux dire, comme la nature, vibrant d'une entière harmonie au diapason de l'univers qui l'entoure. Il est un axe cosmique, lui aussi, lien entre les hommes et leur Dieu.
Michelle
3 août 2000
P.S. Petite synchronicité. J'apprends que c'est aujourd'hui l'anniversaire de George Moustaki, né le 3 août 1934, et je retrouve cette belle chanson "Les mille routes" (comme mon Arbre qui est au carrefour des mille routes; bien sûr, l'expression m'est venue de cette chanson)