Extraits d'une lettre de Carl Jung au Pr. Henry A. Murray
"Vos questions sur l'individuation et l'individu sont hautement philosophiques et retiennent l'attention. C'est tout à fait juste: je n'ai jamais décrit un "être individué", pour cette simple raison que personne ne comprendrait pourquoi je le décris, et que la plupart des lecteurs s'ennuieraient à mourir. Je ne suis pas non plus assez bon écrivain pour pouvoir en dessiner une image réellement satisfaisante. Un génie comme Goethe ou Shakespeare serait peut-être en mesure de décrire l'éclat, la beauté et la complétude divine d'un vieux chêne individué ou la bizarrerie d'un cactus à nul autre semblable. Mais si un homme de science s'y aventurait, personne ne le comprendrait ni ne lui en saurait gré. La science s'occupe seulement de représenter un chêne ou un cheval ou un homme dans ce qu'ils ont de conforme à la moyenne, et non pas dans leur unicité."
"L'être individué est un être tout ordinaire, et pour cette raison presque invisible. Tous les critères de l'individuation sont nécessairement subjectifs et étrangers aux finalités de la science. Vous demandez quels sont les sentiments de l’être individué, son système de valeurs, ses pensées, ses activités et ses rapports au monde environnant. Eh bien, ses sentiments, ses pensées, etc., sont les sentiments, les pensées, etc., de tout le monde: tout à fait ordinaires et sans intérêt, sauf si le hasard fait qu'on s'intéresse particulièrement à lui et à son confort. S'il peut s'accomplir tel qu'il était dès le départ, il est comme il doit être. Il ne doit pas alors exagérer ou simuler, être névrosé ou de quelque autre façon désagréable. Il vit "dans une modeste harmonie avec la nature". Comme dit le bouddhisme zen: au début, les montagnes étaient des montagnes et la mer était la mer. Puis les montagnes ont cessé d'être des montagnes et la mer d'être la mer, et à la fin les montagnes seront de nouveau des montagnes et la mer sera de nouveau la mer. Nul ne peut avoir une vision sans être transformé par elle. D'abord il n'a pas de vision, et il est l'être A; ensuite il est lui-même plus une vision = l'être B; il peut arriver alors - s'il n'est pas complètement obtus - que la vision influence sa vie, et cela donne l'être C. Ce qui compte, ce n'est pas que les gens pensent ou ne pensent pas qu'ils sont individués; ils sont exactement ce qu'ils sont: dans l'un des cas, un être humain plus une caractéristique désagréable dont il est inconscient et qui le tourmente, ou sans cette caractéristique - quoi qu'il en soit, inconscient de lui-même; dans l'autre cas, conscient. Le critère, c'est si l'on est conscient ou pas.
L'être qui a une névrose et qui sait qu'il est névrosé est plus individué que celui qui n'a pas cette conscience. L'être qui est un satané fléau pour son entourage et le sait est plus individué que celui qui reste dans l'inconscience béate de sa nature, etc. Le point de vue scientifique est pertinent pour beaucoup de choses, mais concernant la tournure décisive que prend l'individuation, sa contribution est absolument nulle; il a tout au plus une certaine importance secondaire. Si l’être humain est en désaccord avec lui-même et ne le sait pas, il a des illusions; mais s'il sait qu'il est en désaccord avec lui-même, alors il est individué. Selon Schopenhauer, l'humour est la seule qualité divine en l'homme. Si le pape a de l'humour, ou si Albert Schweitzer sait qu'il a pris la fuite devant le problème européen ou Winston Churchill quel insupportable "bully" il peut être, alors ils sont, en ce sens, individués. Mais pour sûr nul ne s'intéresse à ces finesses très hautement subjectives, sauf s'il est psychologue ou quelqu'un qui en a assez d'être inconscient."
C.G. Jung - Correspondance 1955-1957
"Si l’être humain est en désaccord avec lui-même et ne le sait pas, il a des illusions; mais s'il sait qu'il est en désaccord avec lui-même, alors il est individué."
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup ce passage.
J'ai longtemps pensé que l'individuation était une sorte de progression vers un idéal, un être sans faille en quelque sorte.
J'aime aussi beaucoup le dessin
Bonne journée
Fabienne
L'individuation est une progression dans la prise de conscience de qui on est.
RépondreSupprimerMichelle
Lorsque Jung affirme : « L'être individué est un être tout ordinaire », il me plaît de l’entendre également de la façon suivante : l’être individué est un être qui est (tout) dans l’ordre, dans l’ordre du Monde, dans l’ordre de la Création. Il est ordinaire : c’est à dire qu’il est dans l’ordre, autant qu’il lui est possible de l’être à ce moment. S’il est dans l’ordre, il est dans l’adhésion, il est dans l’amour de ce qui est. Il chemine sur ce sentier de la mise en ordre *, de la synchronisation entre son petit ordre individuel et le grand ordre du Monde. Il progresse sur la voie de l’individuation, la voie du Tao qui le conduit peu à peu à « vivre dans une modeste harmonie avec la nature. » Et cela fait penser, bien sûr, à « l’histoire du faiseur de pluie - ou de neige », histoire que Jung avait en grande estime. Mais peut-être est elle notée quelque part ici, sur Le chemin au delà ? :-)
RépondreSupprimer* ce qui ne peut se faire sans prises de conscience successives du désordre de l’être en chemin.
Amezeg
Wow.. Je commençais à écrire la première page de mon livre quand ma pensée m'a orienté vers une phrase qui contient : être individué.. Puis, comme à mon jeune sens, ces mots me semblaient incertain de définition, en cherchant je suis tombé sur ce "blog".. Et pour la première, j'ai décidé de laisser une trace de mon passage.. RasAstra
RépondreSupprimerAmusant en cabale,dite : phonétique.
RépondreSupprimerIn, Un.
Di, Dix.
Vi, vie.
Dué, deux= 13, soit, Achad = Un.
Je crois comprendre que si on est conscient de ce qu'on est avec ses défauts et ses qualités on est un être individué. Alors je crois l'être en partie, du moins. Mais comment appellerait-on le même être qui tente de corriger le défaut dont il est pleinement conscient ? Merci !
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