jeudi 10 mai 2012

Devenir

Jardin botanique de Montréal - Photo prise dimanche dernier


"Ce qu'il y a de meilleur est inexprimable et ce qui, ensuite, vient de mieux ne pénètre pas dans les esprits.  Il faut pouvoir laisser venir.  L'Orient m'a appris ce qu'il exprime par Wu Wei, c'est-à-dire le non-agir (et non le rien-faire), laisser venir.  D'autres aussi l'ont compris.  Ainsi Maître Eckhardt quand il parle de "se laisser".  L'endroit obscur auquel l'on se heurte n'est point vide; on y rencontre la "mère dispensatrice", les "images" et la "semence".  Quand la surface est déblayée, tout peut venir de la profondeur.  Les hommes croient toujours qu'ils se sont trompés quand ils y aboutissent.  Mais s'ils ne savent aller plus loin, la seule réponse, le seul conseil qui ait un sens, c'est "d'attendre ce que l'inconscient a à dire sur la situation".  Une voie, c'est uniquement la voie que l'on ouvre soi-même et que l'on suit.  Il n'y a par conséquent pas d'indications générales qui disent "comment on doit faire".


"Il faut pouvoir laisser le psychique se dérouler sans entraves.  C'est pour nous un art véritable auquel bien des gens ne comprennent rien; leur conscience intervient continuellement pour aider, corriger et supprimer et ne peut laisser tranquille le devenir simple du processus psychique.  La tâche serait pourtant assez simple.  Si la simplicité n'était pas ce qu'il y a de difficile parmi tout."


"Le public commet l'erreur fondamentale de croire qu'il existe des réponses déterminées, des "solutions" ou des conceptions qu'il suffirait d'exprimer pour répandre la clarté nécessaire.  Mais la plus belle vérité ne sert de rien, - comme l'histoire l'a mille fois montré - tant qu'elle n'est pas devenue l'expérience première, profonde de l'individu.  Toute réponse univoque, celle que l'on dit "claire", reste cependant toujours fixée dans la tête, et il est extrêmement rare qu'elle pénètre jusqu'au coeur.  Ce dont nous avons besoin, ce n'est pas de "savoir" la vérité, mais de l'apprendre.  Non pas d'avoir une conception intellectuelle, mais de trouver le chemin qui conduit à l'expérience intérieure irrationnelle et peut-être inexprimable en mots.  Voilà le grand problème.  Rien n'est plus stérile que de parler de ce qui devrait ou pourrait être, et rien n'est plus important que de trouver la route qui mène à ces buts lointains."



"Au début, la personnalité n'est jamais ce qu'elle sera plus tard.  C'est pourquoi il existe, au moins dans la première moitié de la vie, la possibilité d'agrandissement de la personnalité.  Cela peut résulter d'un accroissement venu de l'extérieur, en ce sens que de nouveaux contenus vitaux se déversent du dehors dans la personnalité qui les assimile.  On peut ainsi obtenir un considérable accroissement de la personnalité.  Aussi admet-on volontiers que cet accroissement ne vient que du dehors et l'on fonde sur cette idée le préjugé que l'on parvient à la personnalité lorsqu'on absorbe le plus possible de ce qui vient du dehors.  Mais plus on obéit à cette recette, plus on s'imagine que c'est du dehors que vient l'accroissement de la personnalité, plus on s'appauvrit intérieurement.  Par conséquent, si une grande idée nous empoigne de l'extérieur, il nous faut bien comprendre qu'elle ne nous empoigne que parce que quelque chose en nous va au devant d'elle et lui correspond.  La possession d'une disposition mentale constitue une richesse, nullement l'amas de butin de chasse.  Car tout ce qui entre en nous de l'extérieur ne devient notre bien propre que si nous avons en nous un espace qui corresponde à la grandeur de l'extérieur.  Le véritable accroissement de la personnalité, c'est la venue à la conscience d'un élargissement venant de sources intérieures.  Sans l'ampleur intérieure, nous ne saisissons jamais la grandeur de notre objet.  C'est pourquoi l'on dit avec raison que l'homme grandit en même temps que la grandeur de sa tâche.  Mais il faut qu'il ait en lui ce pouvoir de grandir; sinon la tâche la plus lourde ne lui est d'aucune utilité.  Tout au plus se brise-t-il contre elle."

Carl G. Jung - Extraits de "L'âme et la vie"

2 commentaires:

  1. Bonjour Michelle,

    « Sans l'ampleur intérieure, nous ne saisissons jamais la grandeur de notre objet. » dit Jung. C’est pourquoi, le « rendement efficace » de l’énorme masse d’informations que nous déversent les médias modernes est sans doute assez dérisoire. Que saisit en réalité le consommateur d’informations ? Il place dans cette consommation une attention et une énergie psychique qu’il serait probablement plus utile de placer dans l’attention portée à lui-même afin que s’ouvre en lui une porte restée close et que cela libère un espace d’accueil et de saisie réelle de l’objet. Passer de la consommation obsessionnelle ou somnolente à l’attention véritable et à la prise en compte consciente de l’objet afin de « devenir »...
    « La possession d'une disposition mentale constitue une richesse, nullement l'amas de butin de chasse. » (Jung) On peut aussi dire, sans doute, disposition d’esprit, disposition psychologique, morale, éthique...

    Amezeg

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  2. Très intéressant Michelle! Comme souvent, il faudrait que j'y réfléchisse et que je revienne le relire. Je le ferai.
    Je trouve aussi le commentaire d'Amezeg intéressant car je faisais cela jusqu'à il y a quelque mois: suivre quotidiennement tout ce qui se passait dans les médias. J'ai arrêté et choisi de plutôt lire des essais sur les sujets qui m'intéressaient.

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