vendredi 31 juillet 2009

Ti-Jean et le Nifé

Ti-Jean en avait assez de caresser son chat toute la journée; cette vie oisive lui pesait. Il pensa qu’il était temps pour lui de vivre une aventure, advienne que pourra. C’est ainsi qu’un bon matin, il partit sans regret, emmenant le petit animal, qui trotta derrière lui un bout de temps, et un goûter assez consistant qu’il pourrait partager le cas échéant. Ça fait toujours plaisir de donner et ça revient de toute façon, d’une manière ou d’une autre.

Ti-Jean chemina ainsi vers l’ouest, tout droit, traversant des ruisseaux, de belles clairières, mais presque toujours sous les frondaisons de la forêt. Donc, il n’avait pas d’idée, au bout de quelques heures, de l’endroit où il venait d’arriver. Une surprise l’attendait... eh oui! Il rencontra un puits dans cet étrange lieu. Un puits ici? Mais comment est-ce possible? La margelle composait un mur très bas; à vrai dire ce puits semblait servir à des enfants, ou à des nains (ceux de Blanche-Neige peut-être?)

Ti-Jean s’arrêta et s’assit au bord du puits, qui tînt bon malgré son grand âge. Ça faisait très longtemps que le puits attendait Ti-Jean. Il ne pouvait pas le laisser repartir comme ça, alors il lui parla. Il serait plus vrai de dire qu’il s’adressa à ce coeur conscient qui habitait en lui, très profondément. Ti-Jean restait assis, écoutant les rumeurs qui bouillonnaient en lui : Qu’y a t’il donc dans ce puits? En regardant tout en bas, tout ce que je vois, et très loin, ma foi, c’est un petit point rouge éclatant. Mais qu’est-ce que c’est que ce puits aux eaux incandescentes?

Ecoutant son courage, sa volonté et sa grande curiosité, il se mit à descendre : là en-dessous tout en bas, le petit point devint un petit lac. Ti-Jean, tranquillement, descendait. C’était facile, mais très long, ça prenait des précautions. Pas besoin d’échelle, ce puits semblait vivant et des branches portant même quelques feuilles le garnissaient; ses pierres, de différentes grosseurs et disposées judicieusement, permettaient une descente et une ascension sans trop de frictions ni de surfaces trop lisses. Ti-Jean sortit de sa poche une petite lampe, quand il ne vit plus que l’eau rouge tout au fond. Les murs du puits redevinrent visibles, rassurants, avec leurs petites feuilles devenues rouges à cette profondeur.

Quelques heures plus tard, il parvint à un endroit beaucoup plus vaste, creusé dans le roc; le lac rouge était au centre de cette clairière rocheuse étrange, immense, qui l’entourait. Quand ses pieds touchèrent terre, Ti-Jean s’aperçut que sa lampe ne fonctionnait plus. Pourtant, il parvenait à distinguer tous les détails de cette grotte qui semblait lumineuse, d’une coloration fluorescente; différentes teintes se côtoyaient et donnaient à cet endroit une apparence très étrange d’antre de quelques entités surnaturelles. Aucun son, si bien qu’il entendait son propre coeur battre très fort, enfermé mais très vivant, à cet instant. Un étourdissement soudain! L’air est rare ici, tout en bas. Ti-Jean essaie de ne pas avoir peur. Après tout, cet endroit si différent doit avoir des ressources aussi différentes. « Je voulais changer ma routine en aventure, eh bien, voilà!, j’y suis, que faire? En attendant, au bord de l’eau, je m’étends. »

La pierre lui sembla chaude sous son corps fatigué. Ça le surprit d’abord, mais il se dit ensuite qu’il avait descendu si longtemps qu’au lieu de la froideur attendue, il avait trouvé un endroit où la chaleur, doucement diffusée, provenait d’un noyau dont on lui avait parlé à l’école: le coeur de la terre en somme, le centre rougeoyant et en fusion de cette bonne vieille terre qui nous porte sur ses formes rondes. Ce coeur ardent composé de nickel et de fer, on l’a appelé « NIFE » (Ni-Fe).

Qand il comprit cela, Ti-Jean fut très surpris. Il s’endormit doucement dans la chaleur du ventre de la terre qui le portait avec précaution, cet être jeune et si vivant, profondément endormi, détendu et charmant, qu’elle tenait enfin entre ses flancs!

Ti-Jean dormit pendant longtemps. Il rêva d’abstraites formes qui le berçaient et, changeant constamment, lui révélaient des principes inconnus jusqu’à maintenant. Une lourdeur soudaine s’emparait de lui et il sentit l’approche parmi ces formes d’une vague grossissant peu à peu et mugissant dans ses oreilles, une vague très chaude, qui emplit toutes ces formes de son bouillonnement bruyant. Puis cette vague se retira, laissant là de drôles de vibrations, provenant de l’eau qui, passant par là, avait changé les abstraites équations, en formant de nouvelles harmonisations.

Ti-Jean se réveilla rempli d’un sentiment de satisfaction. Les aventures de la nuit sont parallèles à celles du jour, elles suivent la même trace d’une autre façon. Et ce rêve lui donnait l’espoir d’un changement profond. Il bailla. Il chanta quelques notes qui se répercutèrent et lui revinrent comme s’amplifiant d’elles-mêmes plusieurs fois avant de s’éteindre. Ti-Jean s’est dit qu’on pouvait composer ici les plus belles mélodies, simplement en improvisant quelques accords et en attendant la symphonie, composée par la grotte sans nom.

Ti-Jean pensa qu’il devrait lui trouver un nom... puis il pensa qu’il avait grand faim. Et il sortit de sa besace un morceau de pain, du fromage et des fruits, et un bon morceau de chocolat avec ça. Il mangea avec un bel appétit.
Puis il prit le temps de se recueillir en lui-même, cherchant comment conclure cette aventure. La grotte le fascinait, elle était si grande et mystérieuse, mais le lac était ce qui l’attirait le plus. Et sans attendre, il y plongea et vit que ce lac était comme un immense entonnoir. Sans hésiter et sans penser à la mort qui le guettait peut-être, il se dirigea en nageant tout au fond et s’engagea dans un tunnel très étroit. Il avait peur, il pensait que sa situation était celle d’un enfant qui s’apprête à naître. Et dans un dernier effort pour sortir de ce terrible endroit, il se propulsa malgré la chaleur accablante encore plus loin. Un étau se resserre, « Ah, mon Dieu! Aidez-moi ». Puis c’est l’aveuglement total, Ti-Jean perd pied, un tourbillon l’emporte avec frénésie toujours plus bas. AH!.......................... ». Sa conscience perd le fil et c’est très bien comme ça. Enfin, il est coupé, ce fil qui nous relie à notre réalité, celle d’où l’on ne peut pas se réveiller. En se propulsant au coeur de la terre, Ti-Jean, rempli de chaleur et de bonnes intentions, a laissé une longue trace de vie tout au long des artères, s’introduisant, prolongeant l’intrusion dans le NIFE, qui se trouve imprégné de la substance si essentielle qu’on trouve au fin fond de tous les humains, cette essence de vie qui surgit au-delà des murs qu’on se construit.

Ce fut un enfantement, pas celui de Ti-Jean, mais celui de la terre. Dans la nuit, l’occasion lui a été fournie de lier son coeur à celui de la terre. Ce fut un beau délire où la terre et Ti-Jean ont joui d’être unis, leurs deux coeurs battant avec fracas, en recomposant la vie et le temps autrement!

Michelle 10 septembre 1994

1 commentaire:

  1. Très beau conte rempli de symboles, certains que tu soulignes d'autres qu'il faut trouver. Merci !

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