dimanche 2 août 2009

Le fil d'Ariane - Projections

"La véritable origine de l'alchimie doit être cherchée moins dans les doctrines philosophiques que dans les expériences que les chercheurs isolés ont faites de la projection. J'entends par là que, pendant qu'il travaillait à ses expériences chimiques, l'adepte vivait certaines expériences psychiques qui lui apparaissaient comme le déroulement propre au processus chimique. Comme il s'agissait de projections, l'alchimiste était naturellement inconscient du fait que l'expérience n'avait rien à voir avec la matière elle-même (ou plutôt avec la matière telle que nous le connaissons aujourd'hui). Il vivait sa projection comme une propriété de la matière. Mais ce qu'il vivait était, en réalité, son propre inconscient. A cet égard, il répétait l'histoire de la connaissance de la nature. Comme nous le savons tous, la science commença par les étoiles et l'humanité découvrit en elles les dominantes de l'inconscient, les "dieux", ainsi que les singulières qualités psychologiques du zodiaque: projection d'une doctrine complète du caractère humain. L'astrologie est une expérience primordiale semblable à l'alchimie. De telles projections se répètent partout où l'homme tente d'explorer un vide obscur qu'il remplit involontairement d'une forme vivante."
Carl Jung, Psychologie et Alchimie

Les humains ont cette formidable faculté de projeter constamment sur le monde extérieur ce qui les habite inconsciemment. Ils l'ont toujours fait, et l'homme moderne n'y échappe pas. Ce qu'il y a de formidable dans la projection, c'est bien sûr la possibilité que nous avons d'en prendre conscience, ce qui nous permet d'intégrer consciemment ces contenus inconscients, ce qui n'est pas chose facile. Maints éléments qui ne pourraient autrement être portés à notre connaissance nous sont ainsi rendus accessibles de différentes façons: par le rêve, bien sûr, qui est une projection de notre monde intérieur sur notre écran psychique. Mais aussi, de mille et une autres façons, dans notre vie quotidienne. Il s'agit de bien observer les liens qui nous relient à notre environnement, et de détecter les indices subtils qui nous mettront la puce à l'oreille. Il s'agit souvent d'une incongruité: par exemple, un préjugé tenace et sans fondement pour un animal en particulier, ou certaines personnalités. Ensuite, il nous reste à explorer ces indices de la manière qui nous convient le mieux. Pour ma part, le média qui m'a permis maintes fois de voir plus loin est l'écriture. Je ne sais pourquoi mais, mon crayon en main, je m'aventure toujours un peu plus loin. Par exemple, quand j'écris un rêve, je pense à des détails et des explications qui ne me viendraient jamais par la pensée seulement. Je ne sais pourquoi, mais je l'ai constaté encore et encore. Je vais vous donner maintenant quelques exemples tirés de ma propre expérience.

Quand j'étais enfant, dans un manuel scolaire sur la bienséance, une image montrait une mère en train d'essuyer le pied d'une fillette. Cette image me mettait mal à l'aise, parce que le pied de cette enfant me paraissait en partie manquant. C'était juste la serviette qui en cachait un bout mais je ne pouvais m'empêcher d'y voir un handicap. Bien des années plus tard, j'ai compris qu'il s'agissait là d'une projection de sentiments d'impuissance, de castration. Les pieds: démarches, avancer dans la vie. De plus, c'est la mère qui tenait la serviette, donc la mère avait un rôle à jouer dans ce problème. Ma mère était une très bonne mère. Elle ressentait ma terreur quand il s'agissait de faire des démarches, de m'expliquer, et très souvent, pour m'éviter cette anxiété, elle le faisait à ma place. Jusqu'au jour où elle m'a dit: Tu es assez grande, tu peux le faire toi-même. Je me souviens encore de mon désarroi! Voilà donc un exemple de l'irruption de l'inconscient dans notre environnement.

Bien sûr, il y a aussi l'animus, complexe autonome correspondant à l'archétype masculin dans la femme. Tant que ce complexe est inconscient, il est projeté soit dans le tempérament de la femme, par exemple par des opinions toutes faites, rigides et non fondées, qu'on clame avec entêtement... Ou encore cet animus est projeté allègrement sur un homme. Et c'est ainsi qu'on "tombe en amour" avec un être qui nous paraît dégager la quintessence de ce qu'on recherche chez un amoureux... sentiment qui se révèle par la suite être une grande illusion, quand la réalité reprend ses droits. Tout ça parce que l'animus, cette dimension masculine si fascinante qui n'a pas trouvé moyen de s'exprimer en soi, est projeté inconsciemment sur un homme qui reflète comme dans un miroir ces qualités qui nous font défaut.

Dans mon cas, j'ai connu ce genre d'amour une fois. Il était sûr et fier de lui, il avait des opinions sur la politique, c'était un beau parleur et, je l'ai compris par la suite, il jouait de son charme pour mieux profiter de ses partenaires. J'ai tout de suite succombé à ce charme, il est venu s'installer chez moi. Au bout de deux semaines environ, je suis tombée de mon nuage, notre vie est devenue un enfer de confrontations sans fin, jusqu'à ce que je monte dans une phase d'inflation: soudain sûre de moi, je lui faisais face ... il s'est sauvé (je ne le blâme pas, il n'est pas le seul à avoir réagi négativement dans ces conditions-là!) et je ne l'ai pas revu pendant plusieurs mois. Quand je l'ai revu, il est revenu s'installer chez moi... mais nous avions peu de contacts, très indépendants. Il ne payait pas sa part. Quand j'ai eu une proposition de co-location avec une amie, j'ai mis mon grand copain à la porte. Il est parti s'établir dans une autre province, alors je ne l'ai vu que deux fois après ce départ.

Malgré moi et malgré son éloignement, j'étais restée sous le charme de cet homme. C'était plus fort que moi. Et ce n'est qu'en 1998, lors d'une visite surprise et alors que je vivais une période très intense dans mon cheminement (une autre période d'inflation mais cette fois-ci beaucoup plus ancrée dans la réalité), que cette projection de mon animus a cessé complètement. Son charme n'opérait plus du tout, au contraire, et il a eu beau me faire des beaux yeux, il ne restait plus rien de la magie du passé. Au cours de mon cheminement, j'avais peu à peu intégré mon animus, j'avais pris confiance en moi, je m'étais fait des opinions solides et bien ancrées, voilà pourquoi j'ai pu finalement me dégager de cette influence.

Je parlais tout à l'heure de préjugés envers certains animaux. Au printemps 96, un matin, en attendant mon autobus, je remarque un oiseau dans un arbre. J'ai toujours eu en quelque sorte un préjugé vis-à-vis des oiseaux. J'avais remarqué en moi une certaine indifférence à leur égard. Dans un zoo, je n'avais pas envie de m'approcher de la section des oiseaux, pourtant je sais qu'il y en a de très beaux. Je ne comprenais pas qu'une personne ait envie d'avoir un oiseau chez elle. Et pourtant j'aime les animaux en général. Alors, ce matin-là, je regarde cet oiseau en me mettant à sa place mentalement, et je ressens son constant frémissement, sa nervosité extrême et je comprends alors que ces défauts qui m'ont tourmentée depuis toujours, la peur, l'anxiété, c'est ce qui me fait voir l'oiseau comme ça; ce n'est qu'une projection qui m'en éloigne. Quelques jours plus tard, j'attends mon autobus avec impatience. En attendant, je vois des petits oiseaux dans l'arbre (le même arbre, juste à côté de l'arrêt d'autobus). Je me dis que ça me donnera le temps de les regarder! C'est ce que j'ai fait. Et à l'autre bout de mon trajet, j'arrivais à pied près du CLSC où je travaille, et, au coin d'une église, juste au carrefour, dans la poussière de la rue, près du trottoir, je trouve un oiseau découpé et très bien dessiné (par une institutrice probablement, c'était près d'une école) un oiseau blanc en papier, un peu sali de poussière. Je le ramasse et je le colle à côté de moi sur mon bureau. En le trouvant, j'ai fait le lien avec les petits oiseaux auxquels j'avais consacré un peu d'attention. La veille, une infirmière qui travaillait avec moi m'avait apporté un T-shirt à elle pour me le donner. Un oiseau et sa cabane sont imprimés dessus. Et en y repensant, je me suis dit que les oiseaux et moi nous avions en commun deux choses positives au moins: le goût du chant... et de s'envoler!

J'ai ressenti pendant un bout de temps un autre préjugé étrange, c'était envers les bébés. Au risque de passer pour quelqu'un de très bizarre, je vous dirai que l'univers des bébés me paraissait démodé et chargé d'odeurs pas très agréables. Je me souviens avoir été interloquée par ces sentiments, dont je ne pouvais me départir. Je n'avais aucune attirance pour ces petits êtres. Et naturellement, il était hors de question que je devienne mère. Peu à peu, ces sentiments négatifs se sont estompés. Mais j'ai gardé le souvenir de cette période où j'avais un préjugé contre les bébés. Et à peu près dans la même période de ma vie où j'ai compris mon préjugé envers les oiseaux, j'ai repensé à ça et me suis exprimée par écrit à ce sujet. J'ai même placé dans mon arbre de Noël, chargé de symboles de toutes sortes, une petite poupée nue, qui venait je ne sais d'où, pour conscientiser ce symbole de bébé. Il m'est alors revenu en tête une fillette de ma famille que je trouvais "bébé", je pensais qu'elle était braillarde, et ne l'aimais pas pour ça. Et comble de malheur, on disait qu'elle me ressemblait! En y repensant, je me suis souvenue de jeux de cartes, où je piquais des rages et pleurais quand mon jeu était dévoilé. Alors j'ai compris le pourquoi de mon préjugé! Le bébé, c'était moi, moi, moi. J'ai toujours été "bébé". J'ai toujours eu des peurs enfantines, j'ai eu beaucoup de difficultés à couper le cordon qui me reliait à ma mère, je me suis sentie plus souvent qu'à mon tour comme une toute petite fille, perdue sans sa maman. Et je n'acceptais pas d'être une enfant, voilà!... Au début des années 2000, je me suis fait dire en rêve: "Comment ça se fait que tu as encore 5 ans!" Maintenant, je l'assume, j'accepte d'être une enfant, avec tout ce que ça comporte: les peurs, la fragilité, mais aussi la joie de vivre, la créativité (au fait, j'ai lu sur un site internet, que ce mot aurait été créé par Carl Jung!!!).

Depuis une couple d'années, j'ai réalisé que quand cet aspect de moi surgit, ce côté bébé, je ressens dans mon visage automatiquement un changement subtil, la résurgence d'une mimique enfantine à peine esquissée, mais que je sais maintenant reconnaître.

Il s'agit de quelques exemples parmi beaucoup d'autres, ceux que je garde en mémoire, qui me reviennent à l'esprit parce qu'ils ont été importants pour moi. Quelle chance d'avoir à notre portée ces indices qui nous permettent de nous reconnaître dans les mille et une facettes du monde qui nous entoure; ce monde dans lequel l'esprit se regarde et peut ainsi réfléchir sur Soi.

Comme le dit Victor Hugo: « Chose inouïe, c’est au-dedans de soi qu’il faut regarder le dehors - le profond miroir sombre est au-dedans de l’homme - là est le clair-obscur terrible... en nous penchant sur ce puits, nous y apercevons à une distance d’abîme, dans un cercle étroit, le monde immense... »

Michelle
2 août 2009

P.S. Au sujet de l'astrologie, j'ai trouvé un article très intéressant:
Science et Astrologie : Une approche Transdisciplinaire par Alain Nègre
http://cura.free.fr/quinq/01negre.html

2 commentaires:

  1. Michelle, des textes intéressants mais trop longs pour moi, je m'explique, difficile pour moi de lire trop longtemps sur écran (pb luminosité, vertèbres)
    c'est pourquoi je préfère les textes un tout petit peu plus court et consacrer mon temps à la lecture des livres papiers après

    je te souhaite une belle journée

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  2. Très intéressant Michelle cette question de la projection. Le premier exemple que tu fournis, la mère qui lave les pieds de sa fille. Il faut être très futée pour avoir compris ça ! :-))
    Avec ton exemple des oiseaux j'ai encore mieux compris la question de la projection !
    Si j'essaie de montrer si j'ai compris, je me dis que nos opinions sur le monde qui nous entoure (handicap-impuissance, oiseau, bébé, etc.)peuvent indiquer une situation en nous qui fait problème.
    Un de mes 3 articles préférés maintenant !
    ■ paumier.

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