dimanche 7 juin 2009

Dépassement

Extraits du livre "Commentaire sur le Mystère de la Fleur d'Or", de Carl Gustav Jung

"J'ai toujours travaillé avec la conviction innée qu'il n'existe pas au fond de problème insoluble. Et l'expérience m'a donné raison en ce sens que la plupart du temps j'ai vu comment des individus dépassaient un problème sur lequel d'autres s'étaient irrémédiablement brisés. Ce "dépassement", comme je l'ai d'abord appelé, s'avéra être à l'expérience une élévation du niveau de la conscience. Quelque intérêt plus élevé et plus vaste faisait son apparition à l'horizon et cet élargissement ôtait au problème de son caractère oppressant. Il n'était pas résolu en lui-même de façon logique, mais il pâlissait devant une direction vitale nouvelle et plus forte. Il n'était pas refoulé ou rendu inconscient, mais il apparaissait simplement dans une lumière différente et, ainsi devenait également différent. Ce qui, à un stade inférieur, avait donné lieu aux conflits les plus âpres et à des explosions paniques de l'affectivité, apparaissait maintenant, considéré d'un niveau supérieur de la personnalité, comme un orage dans la vallée contemplé du sommet d'une montagne. L'orage n'est nullement dépouillé de sa réalité, mais on est désormais au-dessus et non plus dedans."

"Il est arrivé de temps à autre dans ma pratique qu'un individu se dépasse lui-même en raison de possibilités obscures, et cela a été pour moi la plus riche des expériences. J'avais en effet appris entretemps que les problèmes vitaux les plus graves et les plus importants sont tous, au fond, insolubles, et ils doivent l'être, car ils expriment la polarité nécessaire qui est immanente à tout système d'autorégulation. Ils ne peuvent jamais être résolus, mais seulement dépassés. Je me suis donc demandé si cette possibilité de dépassement, c'est-à-dire d'évolution psychique plus poussée, n'était pas en définitive la donnée normale et si le fait de demeurer fixé à ou dans un conflit n'était pas ce qu'il y avait de pathologique. Tout homme doit posséder ce degré supérieur, au moins sous forme de germe, et pouvoir développer cette possibilité moyennant des circonstances favorables. En observant le processus d'évolution de ceux qui se dépassaient eux-même en silence et comme inconsciemment, je vis que leur destin avait un trait commun: la nouveauté venait à eux de possibilités obscures, ils l'acceptaient et se dépassaient grâce à elle... Pourtant elle (la nouveauté) n'était jamais provoquée de façon intentionnelle et consciente, mais elle s'avançait, portée sur le fleuve du temps.

La tentation d'introduire partout un dessein et une méthode me paraît si grande que je m'exprime délibérément d'une façon très abstraite pour ne rien préjuger, car la nouveauté ne doit être ni ceci ni cela, sinon on en fait une recette que l'on peut multiplier "machinalement", et ce serait alors une fois de plus le "moyen juste" dans les mains de l'"homme de travers". J'ai en effet été impressionné au plus profond de moi-même en constatant que la nouveauté ne correspond que rarement ou jamais à l'attente consciente et, chose plus remarquable encore, qu'elle contredit également les instincts enracinés tels que nous les connaissons, tout en constituant pourtant une expression singulièrement pertinente de la personnalité, expression dont on n'eût pu imaginer une forme plus complète.

Et que faisaient ces gens pour réaliser le progrès libérateur? Autant que j'aie pu voir, ils ne faisaient rien (wou wei), mais laissaient advenir: ainsi que le maître Lu Tsou l'indique dans notre texte (Le Mystère de la Fleur d'Or), la lumière tourne suivant sa propre loi si l'on ne cesse pas d'exercer ses occupations habituelles. Le "laisser advenir", l'action non agissante, l'abandon de maître Eckhart est devenu pour moi la clé permettant d'ouvrir les portes qui mènent à la voie: dans le domaine psychique, il faut pouvoir laisser advenir. C'est pour nous un art véritable auquel quantité de gens ne comprennent rien: leur conscient ne cesse d'aider, de corriger et de nier, de multiplier les interférences et, dans tous les cas, il ne peut laisser en paix le pur déroulement du processus psychique. La tâche serait assez simple, si la simplicité n'était pas ce qu'il y a de plus difficile."

Carl Jung, Commentaire sur le Mystère de la Fleur d'Or, Editions Albin Michel

1 commentaire:

  1. J'ai mieux compris la première partie, soit les deux premiers paragraphes. Le reste est plus obscur pour moi et me demandera une relecture. Je dois quand même dire que la notion de dépassement et la capacité de voir, de vivre l'orage du haut de la montagne me parle beaucoup dans les moments actuels.
    Ce texte est un des plus importants, à mes yeux, que je lis ici. Un gros merci Michelle !
    ■ paumier.

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